Distance
J'ai déjà raconté quelques histoires de cette plage de galets, qui occupe tant de place dans mes souvenirs d'enfance: on y trouvait souvent des coquillages, que je ramassais. J'aimais les laver à l'eau douce et les frotter à la brosse; l'opération dissolvait la croûte opaque de sel et leur rendait une certaine brillance nacrée, des tons de rose chair, des tons bleutés.
En observant la résistance et l'épaisseur du coquillage, on pouvait calculer la durée de son séjour dans la zone du ressac: les plus anciens étaient travaillés, polis, au point de devenir transparents et (par endroits) même percés. On pouvait alors les enfiler sur une mince lanière de cuir et s'en faire un collier.
J'essaie des fois de me représenter cette chose qu'on appelle "le coeur": non pas l'organe-pompe, mais le coeur métaphorique, le QG des sentiments et des émotions. On s'obstine à l'imaginer au milieu de la cage thoracique, protégé par quelques couches de tissu musculaire, osseux et autre, comme le coeur "anatomique" - pourquoi? Peut-être parce que l'effet-boomerang de bien d'émotions provoque des sensations précisément dans cette région-là.
Mon coeur doit être fait d'une matière peu résistante, comme ces pauvres coquillages.