L'Etournel
Le voyage fut bien court, car c'est à un jet de pierre de Genève que nous nous sommes arrêtés.
Le soir était frais et l'air humide et chargé.
Nous avons marché vers le soleil déjà bas sur l'horizont, à cette lumière jaunatre qui transforme toute réalité en doute. Nous repoussions les herbes hautes et les ronces qui nous frisaient les épaules. Des escargots, accrochés au sommet des branches pour fuire la chaleur estivale, commençaient à se reveiller et étiraient leurs cornes. Les grenouilles rieuses et les rousserolles poncutaient de leurs cris la basse continue du Rhône.
Le premier étang est couvert d'un tapis de lentilles d'eau: celles qui cachent la méchante Jenny Dentsvertes des légendes britanniques. Là, elles offrent simplement un décor à deux sarcelles d'hiver, arborant leur blason - la double tache, vert brillant, en forme de virgule. A travers une prairie d'orchidées pyramidales, nous nous avons atteint un deuxième étang plus vaste et nous sommes assis dans le parfum des mûres précoces: pour regarder les jeunes grèbes huppés à la tête striée, qui émergent de leurs plongées et se disputent de petits poissons récalcitrants. Un vanneau est venu nous saluer de son cri aigu et musical.
Puis nous avons atteint les berges boueuses du grand fleuve. Cachés dans les roseaux qui se courbent vers le puissant courant, nous avons épié les bords des îlots. Seuls les cris rauques de hérons brisaient le silence. "En voici un" a dit le guide, l'émotion dans la voix. Oui, un gros castor remonte la rive basse, remue la boue avec ses griffes, pour mieux répandre l'odeur marquant son territoire; il replonge, ressort peu plus loin, s'installe. Sa queue plate traine dans la vase.
Un long moment passe avant que nous n'apercevions les autres. L'un fait sa toilette, hâtivement mais énergiquement, avant de replonger; deux autres consomment leur en-cas - des branches tendres de saules. Un petit troupeau de canetons curieux veut entourer un castor qui grignote sa branche: il les gronde en levant les pattes, les imprudents s'enfuient. Les castors nagent le long de la roseraie, disparaissent dans l'obscurité qui avance.
Je vous ai raconté ma rencontre magique avec les castors, ré-introduit dans le canton de Genève grâce à l'oeuvre de Robert Hainard.