Mon Louveteau est orphelin
Les absurdes décorations de cette salle d'attente qui se veut accueillante, papillons verts et rose, fausses fleurs en cascade, un malheureux petit oiseaux dans une cage et des poissons rouges et noirs dans un aquarium. Moi et mon Louveteau sommes affalés sur un canapé, appuyé l'un à l'autre, lui bouquine une ancienne édition de Mickey Mouse: pour se distraire.
Curieux, comme la mort va et vient à un endroit pareil. La normalité sait reprendre ses droits, on voit les gens aux yeux rouges et aux visages bouffis se mettre à rire nerveusement, on les entend parler des pièces à ajouter dans le parcomètre. Pendant que les lions de la douleur rôdent en quête de chair.
Nous sommes déjà entrés et ressortis de la chambre, car son père l'a reconnu, il s'est soulevé dans un dernier élan, a souri, lui a adressé un dernier clin d'oeil, puis a sombré dans le sommeil imposé par la morphine - le combat est terminé, mais Louveteau espère encore naïvement, je le sais. Après un repas qu'il a pris dans la bonne humeur, nous avons fait une dernière tentative, nous nous sommes rapprochés du lit. Les plis du t-shirt retombent sur le corps horriblement amaigri de celui qui fut un grand et bel homme jovial; la poitrine se soulève encore douloureusement, mais le rythme ralentit. Avec un courage totalement mystérieux pour moi, le Louveteau contemple l'affreux masque de mort, qui lentement se dessine à la place du visage de son père. On nous renvoie à la maison, pour nous épargner le dernier acte. Nous nous endormons dans la même chambre, lui dans son lit et moi dans un lit de camp à côté.
Le matin après j'ouvre les yeux, la lumière blême d'une lampe de poche erre dans le noir, derrière j'aperçois le visage hagarde de ma soeur. Pas besoin de demander quel genre de nouvelles elle vient de recevoir. Nous flâneront un peu dans les rues du centre adoucies par le soleil, le stand d'un marchand de fleurs attirera notre attention, le Louveteau achètera un bouquet de roses - il hésitera entre blanches et rouges, ce sont les rouges qu'il va choisir. Nous voici dans la chapelle, confrontés à un mannequin de cire tout habillé, allongé sur une table et couvert d'un drap blanc. Encore une fois Louveteau va m'épater, car il se dirige vers le mort et en embrasse le visage sans ciller - je n'aurai pas le même courage.
Arrive un vieux moine à la barbe blanche, sa tunique noire traîne tristement. J'essaie d'expliquer au Louveteau ce que signifie lux perpetua luceat eis. Il me demande si c'est comme dans les dessins animés, où on voit les héros s'envoler au dessus des nuages. Pas vraiment... quoi que...
Certaines choses l'agacent: pourquoi le mort de la chapelle à côté a droit à d'imposantes installations florales, à un présentoir avec un grand livre, et pas son papa. On lui explique que ça va venir, à une heure et demie. Comment se passe un enterrement, va-t-il être obligé de porter un costume et une cravate. Mais non, qu'importe la tenue.
Pendant le repas - très abondant, car il a faim - il me dictera un texte élaboré à publier dans le journal. Un ami de vieille date de son papa, qui accourt de Rome, lui offre un petit louveteau en peluche, le symbole de l'équipe de foot romaine.
Six mots hideux, griffonnés par les médecins de la clinique italienne:
K renale metastasi ossee metastasi epatiche
Six mots, la fin d'un monde d'espoirs, projets, affects.
D'autre part, toute cette tendresse désespérée, cette douceur, ce quelque chose qui s'obstine à s'affairer en vain jusqu'au bout. Je hais toute cette littérature cynique, qui nous amène à sous-estimer la place que nous avons dans ce monde, et le vide que nous laisserons.