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Lobita
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24 août 2007

Mon Louveteau est orphelin

crossLes absurdes décorations de cette salle d'attente qui se veut accueillante,  papillons verts et rose,  fausses fleurs en cascade, un malheureux petit oiseaux dans une cage et des poissons rouges et noirs dans un aquarium. Moi et mon Louveteau sommes affalés sur un canapé, appuyé l'un à l'autre, lui bouquine une ancienne édition de Mickey Mouse: pour se distraire.

Curieux, comme la mort va et vient à un endroit pareil. La normalité sait reprendre ses droits, on voit les gens aux yeux rouges et aux visages bouffis se mettre à rire nerveusement, on les entend parler des pièces à ajouter dans le parcomètre. Pendant que les lions de la douleur rôdent en quête de chair.

Nous sommes déjà entrés et ressortis de la chambre, car son père l'a reconnu, il s'est soulevé dans un dernier élan, a souri, lui a adressé un dernier clin d'oeil, puis a sombré dans le sommeil imposé par la morphine - le combat est terminé, mais Louveteau espère encore naïvement, je le sais. Après un repas qu'il a pris dans la bonne humeur, nous avons fait une dernière tentative, nous nous sommes rapprochés du lit. Les plis du t-shirt retombent sur le corps horriblement amaigri de celui qui fut un grand et bel homme jovial; la poitrine se soulève encore douloureusement, mais le rythme ralentit. Avec un courage totalement mystérieux pour moi, le Louveteau contemple l'affreux masque de mort, qui lentement se dessine à la place du visage de son père. On nous renvoie à la maison, pour nous épargner le dernier acte. Nous nous endormons dans la même chambre, lui dans son lit et moi dans un lit de camp à côté.

Le matin après j'ouvre les yeux, la lumière blême d'une lampe de poche erre dans le noir, derrière j'aperçois le visage hagarde de ma soeur. Pas besoin de demander quel genre de nouvelles elle vient de recevoir. Nous flâneront un peu dans les rues du centre adoucies par le soleil, le stand d'un marchand de fleurs attirera notre attention, le Louveteau achètera un bouquet de roses - il hésitera entre blanches et rouges, ce sont les rouges qu'il va choisir. Nous voici dans la chapelle, confrontés à un mannequin de cire tout habillé, allongé sur une table et couvert d'un drap blanc. Encore une fois Louveteau va m'épater, car il se dirige vers le mort et en embrasse le visage sans ciller - je n'aurai pas le même courage.

Arrive un vieux moine à la barbe blanche, sa tunique noire traîne tristement. J'essaie d'expliquer auPhoto111 Louveteau ce que signifie lux perpetua luceat eis.  Il me demande si c'est comme dans les dessins animés, où on voit les héros s'envoler au dessus des nuages. Pas vraiment... quoi que...

Certaines choses l'agacent: pourquoi le mort de la chapelle à côté a droit à d'imposantes installations florales, à un présentoir avec un grand livre, et pas son papa. On  lui explique que ça va venir, à une heure et demie. Comment se passe un enterrement, va-t-il être obligé de porter un costume et une cravate. Mais non, qu'importe la tenue.

Pendant le repas - très abondant, car il a faim - il me dictera un texte élaboré à publier dans le journal. Un ami de vieille date de son papa, qui accourt de Rome, lui offre un petit louveteau en peluche, le symbole de l'équipe de foot romaine.

Six mots hideux, griffonnés par les médecins de la clinique italienne:

K renale  metastasi ossee  metastasi epatiche

Six mots, la fin d'un monde d'espoirs, projets, affects.

D'autre part, toute cette tendresse désespérée, cette douceur, ce quelque chose qui s'obstine à s'affairer en vain jusqu'au bout. Je hais toute cette littérature cynique, qui nous amène à sous-estimer la place que nous avons dans ce monde, et le vide que nous laisserons.

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Commentaires
L
Ma chère Claude, tes paroles sont puissantes. Beaucoup de lecteurs de ce blog connaissent le problème dont mon billet parle, par expérience personnelle ou à travers leurs proches; je ne veux pas que ce billet les décourage ni qu'il les inquiète: le papa du Louveteau a eu vraiment malchance, car il est tombé malade alors qu'il était encore jeune, et son mal a été diagnostiqué trop tard. Mais pour beaucoup d'autres gens il y a de l'espoir! D'autant plus que la médecine progresse à pas de géant et qu'en Italie par exemple ils sont en train de mette à point un traitement (paraît-il) très efficace. J'ai toujours pensé que la mort n'est pas une chose entièrement mauvaise (dans le cas de l'homme dont je parle, ça été la fin de souffrances intolérables); mais malheureusement elle nous sépare de ceux que nous aimons! J'embrasse très fort ton Louveteau de 9 ans et pense à vous.
C
Je me suis laissée emporter par la musique enchevêtrée à tes mots. <br /> Dans les couloirs de la mort que j'ai largement fréquenté ces temps ci, je rencontre souvent la douleur, son parfum est intense, son cri est déchirant. La belle nous fait la révérence pour entrer dans la danse. Je me garde d'être trop loin dans ce corps à corps car l'éloignement attise le désir et tu sais bien que la voluptueuse sait conter les histoires de ses yeux énamoures. Bref, mon louveteau de neuf ans n'aurait pas supporté de me voir flirter, ainsi depuis longtemps j'ai décidé d'en faire une compagne toujours à l'esprit car la mort n'est rien que la dématérialisation de l'esprit, il va falloir du temps et de l'espérance pour guérir vraiment de ce chagrin d'amour.<br /> <br /> Ainsi nous sommes tout en temps et en univers, un Tout dans lequel est compris un infini. <br /> <br /> Je t'embrasse Lobita trés fort<br /> <br /> Mon traitement devrait avoir marché, je ne le saurai véritablement qu'en janvier
L
où tu es toujours le bienvenu dans toute circonstance... :-)
D
est d'une très grande présence ! <br /> Très Chère Lobita,<br /> Tes mots incarnent à la perfection toute l'injustice de ce passage vers "on ne sait quoi" ! Ils ont le mérite intense de nous ramener à notre seule réalité ! Ce qui ne se fait bien évidemment pas sans mal ! Mais ils ont aussi finalement pour mission de nous rappeler que chaque instant est unique et mérite d'être vécu le plus intensément possible !<br /> Je te remercie pour ce témoignage, pour tous et pour moi-même. Et sacré nom d'un petit bonhomme, cela doit me rappeler qu'il me faut vraiment m'arrêter bien plus souvent chez Toi ! A très très bientôt !
L
Chère Marie.l, je vous tiens les pouces et pense à vous, j'espère que votre bilan soit comme vous l'espérez et vous souhaite de longues années de bonne santé. Dans la liturgie orthodoxe on chante "Mnogaïa Lieta" ("Beaucoup d'années")...
Lobita
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