Journal très intime
Qu'est-ce que je peux en dire?
Mais vite, en quelques lignes, avant que le courant ne l'emporte - comme tout être aimé! Car rien, personne ne reste, je m'en suis convaincue depuis longtemps; à part les images, qui survivent un certain temps aux choses et aux êtres, telle la pellicule translucide que le serpent se laisse derrière après la mue; et ce qu'on écrit, musique ou littérature, qui arrive parfois à prolonger (je me garderai bien d'écrire immortaliser ou éterniser) les émotions.
La première chose que je sens, lorsque j'y pense, c'est son parfum. Je ne parle pas d'eau de cologne ni d'essences, non; je parle de ce mélange, composé des substances dont on s'enduit, des odeurs que dégagent le lieux dans lesquels on passe le plus clair de son temps, et de l'odeur naturelle de la peau et des cheveux. Et là, c'est terriblement bon, c'est enivrant, et ça parle. Oui, ce genre d'odeur ne peut pas rester sans voix; elle se traduit: des chapitres entiers d'anciennes histoires, des bribes de murmures d'elfes, et des berceuses. Quoi de plus délicieux pour une truffe de louve!
La deuxième, c'est une sensation physique de douceur. Curieusement, ce n'est pas masculin.
C'est maternel.
Ses yeux sont si grands qu'ils sembleraient tristes, si la bouche n'était pas là pour sourire.
Bien sûr, il y a eu et il y a encore tout plein de choses: nous avons connu une relation purement professionnelle, puis amicale, je pourrai donc parler de sa profession, de ses origines, de ses talents ou de sa façon de parler, de sa culture ou de son humour.
Et pourtant, ces trois premières choses - parfum, douceur, grands yeux - sont là à parler d'elles-mêmes, elles n'ont besoin de rien d'autre pour exister. Tout ce qui existe d'autre a été écrit par dessus, comme une partition sur son beau papier couleur d'ivoire; harmonie ou trahison?
Que va-t-il rester d'autre? De petits gestes que je trouve chou.
Enlever ses lunettes, pour le plaisir de voir la lumière du matin dans le flou.
Me téléphoner pour me dire "Je suis en train de chanter" et "Aujourd'hui, j'ai planté un cerisier".