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Lobita
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9 mars 2006

Les dimanches d'une célibataire

Un dimanche enneigé et ensoleillé à Genève... quel meilleur moment pour saisir ma petite caméra et voler des images à la ville somnolente? Un des projet auxquels je travaille en ce moment, dont le titre sera "Le mot impossible", a encore besoin de chair et de couleurs. Quelques-uns de vous (Jean, Pierre2, La Funambule) en auront bientôt des nouvelles, puisqu'ils y ont participé en apportant quelques images.

Je décide donc de réaliser un vieux rêve et me rends avec ma boite magique Sony dans un des quartiers les plus étranges de la ville, la zone industrielle des Acacias: équilibre fragile de métal rouillé, verre, rivière et forêt. Des entrepôts, des scieries, des ateliers de mécanique et d'horlogerie, des usines désaffectées transformées en théâtres off, un ancien parc, un supermarché qui vend en gros, les hérons cendrés qui colonisent les bords de l'Arve. Et... le vrai but de mon expédition: un dépôtoir, amenagé sur un terrain vague, coincé entre deux grandes routes.

Mais quel dépôtoir, mes amis! Les éboueurs genevois ont le coeur tendre: chaque fois qu'ils trouvent des peluches dans les bennes, à la place de les détruire, les rangent à un endroit précis. Ainsi, un banal échafaudage, au fond de ce terrain reservé à la voirie municipale, s'est transformé en cimetière de doudous abandonnés. Il y a des éléphanteaux de grandeur presque nature, des nounours, des panthères dont le rose  se fait plus pâle à chaque saison, des chiens aux oreilles énormes et flasques. Leurs grands yeux de verre continuent à regarder tristement les voitures qui défilent et les rar(issim)es passants. Je veux absolument filmer ça.

Arrivée aux pieds des grillages qui entourent le terrain, déception: le portail est verrouillé et un écriteau déclare catégoriquement: "Accès interdit". Il en faut plus pour me décourager. Je grimpe sur un muret, je me pends à un filet métallique et coince mon objectif entre les mailles. Je commence à tourner quelques images. Tout à coup, j'entends un bruit humain au milieu de cette solitude et des échos monotones des moteurs. Je décolle l'oeil de l'objectif. Un éclat de rouge brille au fond du terrain, entre une benne et une petite cabane à outils. Je tends les oreilles et guette le moindre mouvement.

Car c'est bien un enfant que j'ai vu, j'en suis sûre. Un petit héros, un explorateur en herbe, qui fuit peut-être la solitude des appartements tristes, loin d'une maman célibataire en quête de nouveaux amants, loin d'un père distrait qui roupille devant la télévision. Il vient, lui aussi, s'offrir un moment inoubliable, au milieu de ces jouets dont d'autres enfants ne veulent plus. Mais contrairement à moi, il est assez agile et téméraire pour enjamber l'enceinte, ce qui confère à son aventure l'incomparable saveur de la transgression. Ah je suis jalouse! Maintenant je l'aperçois clairement, il est sorti de sa cachette. Le rouge que j'ai vu était la couleur de sa veste hivernale. Il a deux complices. Ils rôdent prudemment aux pieds de l'échafaudage, aussi intéressés que moi aux nounours orphelins. Comme je voudrais être de leur bande.

Je continue à filmer le cimetière des jouets, en évitant les enfants (je ne veux pas ressembler à une policière). Pour finir j'ai assez d'images. Mais après avoir abandonné mon perchoir sur le muret, juste avant de m'en aller, je me trouve quand même face à face avec les trois héros. Eux aussi m'ont vue et ont été intrigués; ils ont voulu faire connaissance avec cette dame étrange, certainement folle; peut-être que dans ma position et emmitouflée dans mon anorak, je ressemblais à l'un des jouets; peut-être que ma caméra leur a fait peur (un écriteau avertissait sévèrement que le lieu était "placé sous surveillance vidéo"). Tout en les rassurant, je remarque qu'un des trois petits héros a la figure et le blouson barbouillés de sang et une main blessée (le prix à payer pour un dimanche d'émotions).

Je vais finir par les accompagner à une des deux pharmacies ouvertes de la ville et en chemin, je leur raconte de mon projet de film. Tout à coup, ils aimeraient y être.

Qui a dit que les célibataires s'ennuient le dimanche.

 

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Commentaires
D
Hello Lobita!<br /> Merci pour ce lignes passionnantes sur un lieu...dont je ne soupçonnais pas l'existence!<br /> La prochaine fois que tu as envie d'aller balader ton objectif un dimanche dans des endroits insolites, pense à moi: j'aimerais bien t'y accompagner, car mon objectif aime aussi les endroits insolites!<br /> Cordialement, Dominique
M
génial, ma belle ! C'ets legenre d'événement dans la vie qui fait "chaud au coeur" ! C'ets pour ça qu eje t'aime si fort... parce que tu t'emerveilles d'un cimetiere de nounours, parce qu etu es prête à rendre servic,e parce que tu aimes ce qui est beau chez l'Humain...<br /> <br /> tu me donnes de l'espoir !
J
Quelle belle histoire Lobita, j'ai, tu le sais peut etre une tendresse particulière pour l'enfance(je n'ai pas vraiment guéri de la mienne) et de te lire raconter ces nounours abandonnés et ses enfants "découvreurs de trésor" ca me ravit, est ce que tu penses mettre tes images en ligne ? J'adorais voir ce film ! Sit u avais besoin d'une musique un jour j'aimerais bien.....
J
Ben euh, skuzez ma prétention si vous me lisez comme tel.<br /> ;-))
L
G.Mike, tu dois avoir raison mais je ne peux pas être sûre.<br /> Jean-Robert, il m'arrive de faire des choses affreuses, par exemple écrire "Edgar" à la place d'Elgar, puis corriger "Elgar" et ne pas effacer "Edgar", que voulez vous, ceci n'est pas un site professionnel, j'écris pour quelques intimes et je ne le fais pas avec un dictionnaire universel à la main. Sachez donc que sur ce site vous lirez des abominations tous les jours.
Lobita
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