Forêt
Quelqu'un vient de m'offrir un livre sur la forêt. C'est le genre de cadeau que j'apprécie toujours, car étant née dans une grande ville je ne connais pas assez bien ce monde ni son équilibre merveilleux. Je me suis toujours sentie subjuguée par la beauté et les parfums de la forêt mais j'ai longtemps ignoré son langage complexe.
Il y a deux ans lors d'un voyage en Pologne j'ai eu la chance de travailler dans le cadre d'un projet d'étude de la faune sauvage et de collaborer avec un jeune forestier canadien. C'est lui qui m'a initiée à la forêt; j'ai eu l'impression à la fois d'apprendre à lire un ancien alphabet symbolique et de développer un sixième sens jusque là inconnu.
Car il y a dans la forêt une beauté apparente mais aussi tout un univers caché, qui échappe totalement au promeneur superficiel. Des milliers de signes et traces se révèlent à un regard plus attentif: présences invisibles, carnivores, proies ou êtres mycroscopiques, tapis dans le mystère de leurs chemins qu'aucun humain ne connait; partout la lutte pour la vie avec ses lois inviolables, partout la vie avec ses frissons.
Mon attirance pour la forêt n'est pas surprenante, malgré mes origines métropolitaines: en fait mon vrai prénom (qui naturellement n'est pas "Lobita" ;-) ) signifie "forêt". La racine de ce prénom, comme les racines des vieux arbres, se perd dans la nuit des temps. Difficile de suivre les caprices des divinités païennes, et vu le manque de documents écrits, c'est encore plus difficile de pénétrer les fantasmes de mes ancêtres latins, leurs associations subtiles qui reliaient la forêt à la nuit, et les deux à une nature féminine. Je n'ai donc pas la clé du secret de cet être mythique, qui dans la culture latine peut aussi bien superviser la chasse que les phases lunaires, et qui dans la civilisation romaine devient une femme tout à fait mortelle. Cela ne m'empêche pas de porter son nom.
Je comprends pourquoi nos ancêtres ont inventé tant de mythes et de contes fantastiques qui ont pour décor la forêt. Je comprends aussi pourquoi, voulant construire des lieux où se rassembler pour amadouer leurs divinités cyclothymiques, ils ont reconstruit des forêts de pierre: quelle forme incarne mieux l'élan de la terre vers l'air et le ciel?
Les églises catholiques les plus anciennes sont encore construites selon ce modèle. La cathédrale de ma ville natale, par exemple, est une sorte de folie architecturale millénaire. La nef se compose d'une série de voûtes vertigineuses - du marbre noirci par le temps - qui s'appuient sur des piliers gigantesques; cette structure est surnommée "la forêt pétrifiée". Ses fondations furent construites sur des pilotis en bois qui plongent dans les profondeurs des eaux souterraines: comme des racines de vrais arbres.
Et si vous voulez en savoir plus sur la forêt pétrifiée, ici